« Il y a autant de formes de schizophrénies que de personnes atteintes »

Identifiée il y a plus de 100 ans, la schizophrénie touche environ une personne sur cent. Pourtant, elle connait encore une très grande stigmatisation. A l’occasion des journées de la schizophrénie, La Dre Alessandra Solida, médecin-cheffe du département de l’adulte 2 du Centre neuchâtelois de psychiatrie, nous éclaire sur les réalités de cette maladie.

La schizophrénie est un terme bien connu, mais en dehors du domaine médical et des proches des personnes atteintes, elle reste peu comprise et associée à la peur et à la violence.

A l’image du film Psychose d’Alfred Hitchcock ou encore Shining de Stanley Kubrick, il faut dire que le monde de la fiction, entre autres, a souvent utilisé la maladie psychiatrique pour dépeindre des personnages de tueurs. Ces derniers se débattent avec leurs hallucinations et plongent les spectatrices et spectateurs dans un monde particulièrement angoissant.

S’ils offrent un divertissement spectaculaire, ces personnages, souvent qualifiés de schizophrènes, sont très loin de dépeindre les réalités de cette maladie. Ces idées reçues font que la schizophrénie reste l’une des maladies les plus stigmatisées parmi la population générale. Un véritable fléau, surtout lorsque l’on sait que cette stigmatisation est une entrave au rétablissement des personnes touchées, qui se retrouvent trop souvent isolées socialement.

La schizophrénie est pourtant loin d’être rare. Selon Schizinfo, en Suisse, elle touche 84 000 personnes, soit environ 1% de la population.

A Neuchâtel, les personnes qui en souffrent sont suivies par le département de l’adulte 2 du Centre neuchâtelois de psychiatrie. La Dre Alessandra Solida, médecin-cheffe du département, décrypte avec nous cette maladie.

Comment définir la schizophrénie ?

La schizophrénie est une forme de psychose, un terme qui décrit un trouble psychique qui amène la personne à perdre le contact avec la réalité.

Il s’agit d’une maladie polymorphe, c’est-à-dire qu’elle ne se manifeste pas de la même façon chez toutes les personnes atteintes. La Dre Alessandra Solida précise : « Il s’agit d’un syndrome, l’état pathologique va donc être caractérisé par une constellation de divers symptômes, constellation qui peut être très différente d’une personne à l’autre. Il y a donc probablement autant de formes de schizophrénies que de personnes atteintes. »

Des symptômes positifs, négatifs et cognitifs, qui handicapent lourdement le quotidien

Quels sont alors les différents symptômes qui peuvent toucher la personne atteinte de schizophrénie ? « Ils sont catégorisés selon trois types : positifs, négatifs et cognitifs. »

Les premiers, les symptômes positifs, caractérisent des troubles qui sortent du vécu commun, en « s’ajoutant » aux expériences psychiques habituelles dans la population générale. « Il peut s’agir d’idées délirantes, parfois paranoïaques ou au contenu bizarre, des hallucinations acoustico-verbale, visuelles, ou encore corporelles. Nous pouvons aussi observer un discours et un comportement désorganisés ou bizarres », détaille la Dre Alessandra Solida.

Les symptômes négatifs correspondent, eux, à un appauvrissement de certaines caractéristiques dont les personnes non atteintes disposent. Ils touchent en particulier la motivation et la sphère de l’affectivité. « La personne concernée s’isole de son cercle familial et amical, elle se replie sur elle-même. Elle va peu communiquer et présenter une émotivité réduite, faire preuve d’apathie. Dans certains cas, ces symptômes ressemblent à ceux de la dépression. »

Enfin, les symptômes cognitifs correspondent à un affaiblissement de la capacité de concentration, de mener à bien un projet, d’élaborer et de réaliser des tâches complexes. « La personne schizophrène peut alors présenter des difficultés à organiser les actions utiles à la réalisation des tâches complexes ou à prendre des décisions. »

Trois types de symptômes apparaissent de manière variable chez les personnes atteintes de schizophrénies.

Tous ces symptômes sont donc très lourds pour les personnes qui en font l’expérience. Ils peuvent provoquer une invalidité importante au quotidien et entraîner un mal-être profond. « Environ 40% des personnes atteintes de schizophrènes font une tentative de suicide au cours de leur vie. Cependant, on sait que, au-delà des symptômes, les facteurs sociaux contribuent aussi à alourdir la situation.

La stigmatisation, l’exclusion sociale, et le sentiment de honte ressentis par les personnes concernées ont un impact significatif sur l’incapacité fonctionnelle liée à la maladie. « L’invalidité ne dépend donc pas seulement des symptômes, mais également de la qualité de soins, des services d’intégration et de l’inclusion sociale à disposition dans l’entourage proche et dans la communauté. »

La schizophrénie touche qui ?

Les premiers signes de la schizophrénie peuvent être difficiles à détecter, car les symptômes se présentent de manières subtiles. Ils prêtent aussi souvent à confusion, rendant difficile le diagnostic, et ils se manifestent pendant une période pouvant s’étaler sur quelques années.

« Les patientes et les patients sont généralement diagnostiqués seulement après une première crise psychotique aiguë, crise pendant laquelle les symptômes plus bruyants, notamment les symptômes positifs, vont se manifester de manière très visible. A ce moment-là, des difficultés liées au développement sournois du trouble sont déjà présentes. »

En règle générale, cette première crise arrive entre la fin de l’adolescence et le début de la vingtaine chez les hommes, et entre la fin de la vingtaine et le début de la trentaine chez les femmes. « Ce décalage n’a pas encore été bien expliqué, mais des facteurs biologiques et sociaux pourraient être en lien avec le fait que la crise est plus tardive chez ces dernières ».

Des facteurs génétiques, environnementaux et sociaux

L’origine de la schizophrénie et celle du déclenchement de la crise psychotique restent aussi mal connues. « On sait que le trouble n’a pas une seule cause. Son origine est issue d’une combinaison complexe de facteurs biologiques, environnementaux et sociaux », explique la Dre Alessandra Solida.

Sur le plan biologique et génétique, la schizophrénie n’est pas une maladie héréditaire. Les proches au premier degré de personnes souffrant de schizophrénie présentent toutefois un risque accru de développer la maladie par rapport à la population générale : « Plusieurs variantes génétiques très fréquentes dans la population générale jouent un rôle dans la vulnérabilité à la maladie, mais une prédisposition biologique n’est pas suffisante à elle seule pour provoquer la survenue du trouble ».

Des facteurs environnementaux entrent également en jeu : « Certaines infections contractées in utero peuvent augmenter le risque ; les toxiques, comme les drogues, peuvent aussi induire l’émergence d’un trouble psychotique chez des individus vénérables. La consommation de ces toxiques n’est, là encore pas la cause, mais ils amplifient le risque, un peu comme si on ajoutait du combustible sur des braises. »

Enfin, les circonstances de vie sont aussi déterminantes : « Les traumatismes précoces durant l’enfance, comme la négligence, la maltraitance et les abus, mais aussi des événements traumatiques très violents, peuvent favoriser l’apparition des troubles chez les sujets prédisposés ».

Quels sont les traitements ?

Il n’y a pas un traitement unique pour la schizophrénie, la maladie évoluant par épisode et de manière différente selon les personnes atteintes: « Certaines ne feront jamais de crise psychotique, d’autres ne font qu’une crise et n’en auront plus jamais. La majorité des personnes atteintes auront plusieurs rechutes de psychose, mais pourront atteindre un niveau satisfaisant de rémission entre les crises aiguës. Seule une petite partie des personnes malades manifesteront des crises difficiles à traiter et résistantes au traitement. »

Des médicaments, notamment les antipsychotiques, sont efficaces pour traiter les symptômes aigus de la crise psychotique. Leur utilisation doit être adaptée à chaque patiente et patient selon ses besoins, ses symptômes et l’évolution de son état.

« La médication est employée dans la phase aiguë pour contenir la psychose, et dans les phases entre les crises pour éviter le risque de rechutes. Mais elle est loin d’être le seul outil thérapeutique nécessaire. Pour favoriser le rétablissement, il faut une approche multidisciplinaire. Les aspects psychosociaux sont ainsi fondamentaux. »

Se rétablir en restant un membre à part entière de la communauté

Le rétablissement ne passe donc pas nécessairement par la disparition totale des symptômes. « Aujourd’hui, ce qui est primordial, c’est d’être à l’écoute de la personne atteinte, de ses besoins, de ses aspirations, pour entrer en résonance avec son expérience de vie et ses attentes. Notre objectif est qu’elle atteigne une qualité de vie adéquate, et qu’elle trouve sa place et un équilibre satisfaisant dans la communauté. »

Les interventions auprès des patientes et des patients, quand la situation le permet, se font ainsi de plus en plus dans son environnement social. « Les hospitalisations sont réduites autant que possible aux phases de crise plus sévères nécessitant une mise à l’abri, lorsque les possibilités de soutien et gestion de la crise dans le milieu social sont dépassées. »

L’objectif principal du rétablissement est de permettre à la personne schizophrène de trouver sa place et un équilibre dans son cercle familial, social, et dans la communauté. Crédits : Shutterstock

Le rôle absolument primordial joué par l’entourage et l’intégration sociale dans le rétablissement des personnes schizophrènes met ainsi en lumière l’importance de lutter contre la stigmatisation et l’exclusion.

Une stigmatisation qui entrave la détection précoce

Cela est d’autant plus important que la stigmatisation qui pèse sur la maladie mentale entrave aussi la possibilité de détection précoce de la maladie. Lors de l’apparition des premiers symptômes et des difficultés qui vont avec, trop de personnes n’osent pas demander de l’aide, par peur, manque d’information ou déni.

« C’est un véritable problème, car agir en amont de la première crise psychotique aiguë peut nous permettre de limiter les dégâts associés à l’éclosion du premier épisode psychotique, et, à terme, de contenir l’évolution chronique de la schizophrénie », alerte encore la Dre Alessandra Solida.

Liens utiles

Site internet de Schizinfo

Page de département de l’adulte du CNP

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