Au travers du mouvement « Movember », le mois de novembre est consacré à la prévention de la santé masculine. L’objectif est de sensibiliser le grand public, afin de briser les tabous qui entourent les cancers de la prostate et du testicule, et plus globalement la santé mentale des hommes. Les chiffres le montrent, ils peinent à prendre soin de leur santé, physique ou mentale. Comment expliquer ce phénomène et comment venir en aide à ceux qui traversent des difficultés ? Médecin-adjoint au service liaison spécialisée du CNP, le Dr Yann Corminboeuf nous donne quelques éléments de réponse.
Depuis plusieurs années, les moustaches se font plus nombreuses sur le visage des hommes à l’arrivée du mois de novembre. Une initiative du mouvement « Movember » , qui veut à travers cette action sensibiliser les hommes aux cancers masculins de la prostate et du testicule, mais aussi à prendre soin de leur santé en général, physique et mentale.
Les hommes auraient ainsi plus de peine à faire appel au réseau de soins en cas de problème de santé ou de mal-être psychique que les femmes. Des habitudes lourdement définies par des facteurs sociétaux, qui se répercutent dans les chiffres. En moyenne, les hommes ont une espérance de vie plus courte que les femmes (82.2 pour les hommes et 85.8 pour les femmes), et consultent nettement moins de spécialistes de la maladie mentale. Malheureusement, chaque jour en Suisse, environ trois personnes mettent fin à leurs jours et trois quarts des suicides sont commis par des hommes (OBSAN, 2023).
Le Dr Yann Corminboeuf, médecin-adjoint au service liaison spécialisée du CNP, travaille notamment au sein de l’unité de psycho-oncologie. Il constate au quotidien la difficulté qu’éprouve une partie des hommes à demander spontanément de l’aide sur les questions de santé, physique et mentale. « En cours de séjour hospitalier par exemple, lorsque les patient·e·s sont adressés par des médecins, nous avons un ratio égal entre les demandes concernant des hommes et des femmes. Mais lorsque l’on regarde les demandes de prises en charge ambulatoires spécifiques à la problématique de l’oncologie, la psycho-oncologie, la patientèle masculine tombe à 32%. »
Des préjugés et des valeurs traditionnelles difficiles à surmonter
Pourquoi une telle différence entre hommes et femmes lorsqu’il s’agit d’être proactif sur sa santé, physique ou mentale ? « Chaque individu est bien sûr différent, il y a de grandes disparités dans l’approche de la masculinité chez les hommes. Mais nous vivons encore dans des sociétés qui associent l’homme à des valeurs telles que le pouvoir, le stoïcisme, la force, la virilité et l’autonomie. On sait aujourd’hui que les hommes présentent plus de peine à mobiliser leur soutien social. Ils ont plus honte de demander publiquement de l’aide et masquent trop souvent leur faiblesse et leur dépendance aux autres », détaille Yann Corminboeuf.
Consulter par prévention, pour de « petites » douleurs ou pour un mal-être est donc un pas difficile à franchir pour une partie des hommes, parfois en opposition avec l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et des valeurs dans lesquels ils ont évolué.
« Il s’agit aussi d’une question d’habitude et de sensibilisation. Les femmes ont par exemple plus l’habitude de consulter de manière préventive, suivies régulièrement par un·e gynécologue depuis leur jeune âge. Les hommes n’ont pas de tel suivi auprès d’un·e urologue, ils sont donc moins sensibilisés à la prévention et ont moins l’habitude de cette routine d’examen, comme le dépistage du cancer de la prostate. »
Une partie des hommes sollicitent donc de l’aide très tardivement, et même parfois trop tard. Un véritable problème pour l’évolution de leur santé. Le cancer de la prostate est le plus fréquent chez les hommes (7’400 cas par année en Suisse), et presque sans symptôme à ses débuts. Même chose pour le cancer du testicule. Plus rare (470 cas par année en Suisse), il touche les hommes plus jeunes et est peu symptomatique à son apparition. Or, plus le cancer est pris en charge précocement, meilleures sont les chances de rétablissement. Etre proactif dans la prévention et le dépistage est donc essentiel.
Un suivi psychologique n'est pas toujours bénéfique
Si le diagnostic d’une maladie est toujours une épreuve émotionnelle, les cancers de la prostate et du testicule sont souvent encore plus mal vécus. Yann Corminboeuf explique : « Ce sont des cancers qui peuvent causer des dysfonctionnements sexuels ou qui touchent à la fertilité, des aspects extrêmement sensibles, car fortement associés à la virilité. Ils peuvent ainsi causer une véritable perte d’estime de soi avec une crise identitaire profonde chez certains individus. »
L’impact psychique de la maladie oncologique est donc important, avec deux patients sur trois qui traverseront des expériences de détresse psychologique. « Néanmoins, ce n’est pas parce qu’on est atteint du cancer que l’on développe une maladie psychique, même si en pareilles circonstances, l’anxiété et la dépression sont plus importantes que dans la population générale. Parmi ces hommes, près de 20% présentent des symptômes dépressifs, qui peuvent se manifester tout au long du processus de la prise en charge ; lors du diagnostic, lors des traitements, ou même après, une fois la prise en charge oncologique achevée », précise encore Yann Corminboeuf.
Atteints dans leur corps, le poids des préjugés est donc une difficulté supplémentaire lourde à porter psychologiquement pour beaucoup d’hommes. Des souffrances qu’ils peinent à partager et à verbaliser. « Que la cause soit physique ou psychologique, cette entrave liée à la normalisation des genres est encore plus forte lorsque le mal-être est en lien avec les émotions. »
S'adapter à chaque individu pour offrir l'aide la plus appropriée
Bien que des prises en charge psychiques existent, comme la consultation de psycho-oncologie dans laquelle Yann Corminboeuf travaille avec ses collègues, partager et parler de ses émotions reste une étape particulièrement compliquée à franchir pour certains hommes, que ce soit avec ses proches ou ses médecins.
« Une partie des hommes ont pu évoluer dans des environnements qui accueillent de façon positive l’expression des émotions, et on constate que pour ces derniers, l’expression des émotions et le dialogue sont utiles et favorisent leur rétablissement », détaille Yann Corminboeuf. Mais pour une autre partie des hommes, les émotions sont un véritable aveu de faiblesse qu’ils ont appris très tôt à dissimuler et réprimer. » Dans ces cas-là, la confrontation avec le vécu émotionnel est presque impossible, et pourra peut-être même être contreproductive. L’adage promulguant l’expression des émotions est donc à prendre avec précautions, surtout pour les hommes évoluant dans des univers à la forte contrainte sociale autour de la masculinité. »
Les professionnel·le·s de la santé doivent donc s’adapter pour offrir une prise en charge qui puisse convenir aux sensibilités et aux besoins de chaque individu, selon son système de valeurs.
« Cela peut passer par la prise en charge de la maladie, en donnant le contrôle adapté au style de vie du patient. Plutôt qu’un suivi psychologique, certains hommes seront plus à l’aise à être actifs en faisant du sport, en partageant leur expérience avec des pairs et en reconstruisant leur image autour de la survivance et d’une masculinité renouvelée. »
Les proches jouent aussi un rôle crucial dans le processus de la maladie oncologique et aujourd’hui encore, les femmes sont les principales contributrices à la santé des familles. « Il est important de souligner que ce rôle peut aussi être parfois lourd à porter, avec un impact sur la santé physique, psychique et socio-économique des proches impliqué·e·s. »
La consultation de psycho-oncologie est ainsi aussi ouverte aux proches des personnes touchées par le cancer, pour leur offrir un soutien qui peut leur être essentiel. Yann Corminboeuf précise encore : « Le rôle des soignant·e·s dans le contexte oncologique doit donc également comprendre une investigation de la dynamique du genre au sein des couples et les accompagner dans leurs styles respectifs de communication et de répartition des rôles ».
Plus d'information
Prévention des cancers masculins
Il est conseillé de faire un dépistage du cancer de la prostate chez un médecin dès 50 ans, ou 45 ans s’il existe un historique de cancer de la prostate dans la famille. Pour en savoir plus sur le cancer de la prostate : ligue contre le cancer.
Pour le dépistage du cancer du testicule, il est recommandé de faire régulièrement une autopalpation, dès l’âge 15 ans. Pour en savoir plus : association Having a ball et ligue contre le cancer.
Consultation de psycho-oncologie
Téléchargez le flyer de la consultation et retrouvez plus d’information sur la page oncologie du site du RHNe.
Associations
Programme MenCare pour la Suisse romande
Association Movember
Aide et information sur la santé mentale
Recherches sur le sujet et bibliographie
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