Le trouble du spectre de l’autisme, c’est quoi ?

Le trouble du spectre de l’autisme (TSA) est de plus en plus présent dans les médias. Mais que sait-on réellement de celui-ci ? Si l’on pense connaitre ce sujet, force est de constater qu’il souffre encore de nombreuses idées reçues. Eclairage avec Dr med. Léa Kiener, médecin cheffe responsable de la filière ambulatoire et du secteur développement mental au CNP.

Le TSA, pour trouble du spectre de l’autisme, est devenu, ces dernières années, un sujet phare discuté dans les médias. L’univers culturel s’en est également largement inspiré en mettant en lumière des personnages atteint·e·s de TSA, comme Sheldon Cooper dans la série « The Big Bang Theory » par exemple.

S’il peut apparaître comme un sujet familier du grand public, quelles sont les réalités de ce trouble et comment est-il traité ? Léa Kiener, médecin cheffe responsable de la filière ambulatoire et du secteur développement mental, nous éclaire et balaie les idées reçues qui circulent encore sur le TSA.

On naît avec un TSA, on ne « l’attrape » pas

Tout d’abord, qu’est-ce que c’est exactement, le TSA ? « Il s’agit d’un développement particulier du cerveau qui débouche sur un trouble aux incidences variables. Pour être plus simple, ce sont les connexions entre les neurones qui sont affectées », répond la spécialiste.

Il s’agit donc d’un souci global, et non pas confiné à une partie spécifique du cerveau. Cela peut se révéler très tôt dans la vie d’une personne. « Vu que ce trouble touche le cerveau et que ce dernier est plus malléable dans les premières années de la vie, le moment auquel on le diagnostique et commence à agir pour limiter ses effets est capital. »

Les fonctions cognitives (capacités intellectuelles), et/ou le langage sont généralement touchés, mais pas toujours. Chez environ un tiers des personnes concernées, le niveau cognitif et langagier est intact. Cela peut d’ailleurs rendre le trouble difficile à repérer, notamment chez l’adulte.

Le TSA peut ainsi entraîner des symptômes plus ou moins lourds, qui peuvent aller jusqu’à un handicap important de toutes les compétences nécessaires pour interagir au niveau social.

Enfin, il faut aussi spécifier que l’on naît avec un TSA. On ne peut donc pas « l’attraper ».

Traits autistiques et TSA

On entend aussi parfois parler de traits autistiques, quelle est la différence avec un TSA ?

« Le fonctionnement humain est un continuum, il a donc été nécessaire de trancher entre ce qui relève de la ‘normalité’ de ce qui relève d’un trouble. On peut donc présenter des traits autistiques, sans toutefois être touché·e par un TSA ».

Il est ainsi possible de reconnaître certains traits chez soi ou quelqu’un d’autre, sans pour autant que cela rentre dans le spectre. Attention donc à l’autosuggestion, seul·e un·e professionnel·le pourra établir si une personne souffre d’un TSA ou non.

Si, par le passé, des appellations diverses ont existé, comme le syndrome d’Asperger par exemple, ce n’est plus le cas aujourd’hui. « Désormais, on préfère parler d’un trouble du spectre de l’autisme, dont on décrit la gravité, avec atteinte, ou non, du langage et/ou des fonctions cognitives. »

Et ça concerne qui ?

Le TSA n’est pas un trouble particulièrement rare. Une recherche rapide montre qu’il touche, en moyenne, une personne sur 100. Il semble cependant avoir une légère propension à toucher les garçons plus que les filles. Une information à prendre avec des pincettes, spécifie Léa Kiener: « Cela peut en partie s’expliquer par le fait que, dans la gent féminine, le trouble est plus difficile à identifier. En effet, les filles ont souvent des compétences sociales moins impactées. »

Au CNP plus particulièrement, pour l’année 2021, une soixantaine de bilans demandés au service de Léa Kiener suspectaient un TSA. Un chiffre plutôt impressionnant, lorsque l’on sait qu’il ne prend en compte que les personnes de moins de 18 ans.

Les particularités sensorielles ne sont pas le point cardinal du TSA

Mais concrètement, qu’est-ce que cela implique d’avoir un TSA ?

« Les personnes touchées vont avoir de la peine à comprendre les émotions des autres, à les déchiffrer, à se mettre à leur place et pouvoir, en conséquence, agir de la manière que l’on considérerait comme adéquate. »

En plus de cela, le trouble agira de façon similaire sur leurs propres ressentis, les rendant très compliqués à exprimer. « De manière globale, tous les aspects sociaux sont impactés. L’échelle de gravité du trouble dépendra du degré d’atteinte et des symptômes présents », précise Léa Kiener.

Certaines personnes autistes ont également des particularités sensorielles. En effet, il s’avère que souvent, une hypo- ou hyper- sensibilité (aux odeurs, lumières, sons, ou tactile par exemple) peut se révéler dans le cadre d’un TSA. La psychiatre met cependant en garde : « Les particularités sensorielles ne sont pas le point cardinal du TSA. Elles peuvent cependant venir confirmer des suspicions. Il s’agit ici de bien observer et de ne pas tirer des conclusions de façon trop hâtive ».

Dans l’unité CNPea (enfants et adolescent·e·s), l’équipe reçoit des enfants et adolescent·e·s (envoyé·e·s par leur médecin) pour réaliser des évaluations cognitives et affectives ainsi que dresser un bilan. Ce travail peut se faire en collaboration avec les équipes du RHNe et de l’ACPA (Accueil et Consultation Précoce en Autisme).

À la suite de ce bilan, on décide d’une prise en charge thérapeutique et de l’ajustement concret en fonction des compétences et forces des patient·e·s. Un rapport écrit est réalisé et lorsque cela s’avère nécessaire, l’équipe peut rediriger les personnes vers d’autres professionnel·le·s de la santé.

Comment déceler un TSA chez le bébé et l’enfant ?

Comme vu plus haut, plus il est décelé tôt, plus il est possible d’agir efficacement sur le TSA. Mais comment déceler un TSA chez le bébé et l’enfant ?

Pour les bébés, il faut prêter attention au regard et à l’intérêt relationnel. « D’une certaine manière, les bébés sont programmés pour imiter. Dès lors, il faut être vigilant·e si l’enfant n’est pas attiré par les visages. Il est aussi important de vérifier si le bébé répond lorsqu’on lui fait un sourire. Imite-t-il les mimiques et la gestuelle des parents ? Si ce n’est pas le cas, il faudrait songer à en parler au pédiatre, qui pourra examiner l’enfant et faire passer un questionnaire de dépistage, comme le M-CHAT ».

En grandissant, il faut rester attentif·ve à l’intérêt de l’enfant par rapport aux interactions avec les autres. Il en va de même pour les particularités sensorielles.

Confusion des causes de TSA

Les problématiques citées ci-dessus peuvent toutefois aussi être provoquées par une autre cause, comme l’épilepsie, ou des problèmes de vue ou d’ouïe. Une consultation avec la ou le pédiatre est donc conseillée pour écarter ces aspects avant tout.

« Il faut absolument aussi faire mention du gros problème que représentent les écrans », insiste Léa Kiener, rappelant l’existence de la règle de Tisseron. En effet, une exposition prématurée aux écrans chez les enfants va empêcher le développement des capacités relationnelles, et donc simuler un trouble de l’autisme.

Beaucoup de cas pris en charge par les équipes du CNPea s’avèrent ne pas avoir de TSA, mais en présenter certains symptômes ou comportements à cause des écrans. « Cette exposition peut entraver l’enfant dans son développement de manière globale et massive », ajoute la spécialiste. Une grande vigilance est donc de mise.

Une suspicion ? Que faire ?

1. Parler des observations et impressions au·à la médecin traitant·e. Il ou elle pourra réaliser des tests pour écarter d’autres pistes et orienter vers des spécialistes le cas échéant.

2. Jeter un coup d’œil au formulaire MCHAT, qui permet de dépister l’autisme.

Si les doutes se révèlent fondés, un examen semi-structuré (ADOS-2) pourra être mené et un formulaire (ADI-R) pourra être rempli avec les parents. Ces démarches permettent de voir sur quelles ressources cognitives l’enfant peut s’appuyer. Le suivi et le travail qui découleront de ces démarches pourront se fonder sur cette base.

Et pour les adultes, qu’en est-il ?

A l’âge adulte, dans la vaste majorité des cas détectés, on peut remarquer l’absence d’impact sur les fonctions cognitives. « Très souvent, un TSA peut être camouflé par des capacités intellectuelles très développées, qui permettent de compenser certaines difficultés », explique Léa Kiener. Si ce type de trouble peut être handicapant, il donne aussi parfois des facultés hors du commun.

Cela peut aller d’une attention aux détails extrêmement poussée à des intérêts limités, mais très profonds, rendant les personnes hautement capables. Ce genre de situation résulte donc sur une absence de diagnostic, car le trouble n’est pas facilement visible.

À noter qu’avec les années, les symptômes semblent se stabiliser. « Vers 25 ans, le cerveau termine ses grandes évolutions. Après cet âge-là, la personne ne peut plus qu’apprendre à vivre au mieux avec la façon dont le trouble se manifeste chez elle ». D’où le fait qu’il soit important de diagnostiquer au plus vite pour agir au mieux et compenser certains symptômes grâce à un travail ciblé.

Une liste de signes à prendre en compte si l’on suspecte un TSA :
-> ne pas avoir la même logique et réflexion que les autres,
-> ne pas ressentir un besoin particulier de contact social,
-> difficulté à comprendre les règles sociales et/ou codes moraux,
-> contacts physiques pouvant être compliqués,
-> ressentir une profonde angoisse pour des choses qui ne semblent pas effrayer les autres.

Attention toutefois à ne pas dramatiser ces points. Dans une certaine mesure, ils ne sont que des traits autistiques et non pas un TSA.

Afin de mieux comprendre ce que peuvent ressentir les personnes présentant un TSA, Léa Kiener conseille volontiers la bande dessinée « La différence invisible » de Julie Dachez, ainsi que le documentaire « Histoires d’amour et d’autisme » sur Netflix.

Une question de représentation et de meilleure compréhension de l’autre

Aujourd’hui, on remarque une meilleure représentation des personnes atteintes d’un TSA dans les médias, et notamment dans les œuvres de fiction, comme « The Big Bang Theory » ou « Atypical », pour ne citer que ces deux séries.

« Je pense que c’est positif que l’on puisse mettre en évidence et parler de ce qui peut donner espoir. Cela montre aussi que les personnes autistes peuvent apporter des compétences uniques et très spécifiques dans différents milieux et domaines », avance Léa Kiener. « En revanche, il n’est pas possible d’atteindre un rétablissement total. On ne peut viser qu’une amélioration de la situation. »

S’il est bien de montrer des profils TSA à large échelle, le risque de rester enfermé·e dans des carcans stéréotypés existe. « On est également dans un genre d’idéal, qui fait moins peur que ce que la réalité peut être », nuance la spécialiste.

En tant que spectatrice et spectateur, il faut donc continuer à se questionner. En tant que personne également: comment la vie des individus touchés par un TSA peut-elle être facilitée ?

« Les neurotypiques font beaucoup de choses de manière implicite et intuitive, en particulier en ce qui concerne l’ajustement à l’autre. Une personne autiste est perdue face à cela. Il faut que l’on se montre plus explicite de façon générale, donc que l’on s’exprime plus sur ce que l’on fait, pourquoi on le fait, afin que les règles et codes soient clarifiés. Il est également utile de se montrer prévisible et de se mettre à la place de l’autre pour essayer de comprendre comment il pourrait voir les choses », répond Léa Kiener.

Certaines des améliorations qu’il est imaginable de mettre en place seraient même bénéfiques à tout le monde et pas seulement aux personnes atteintes d’un TSA. On peut notamment songer à des plannings clairs, des règles explicites ou des arborescences transparentes et bien définies pour ce qui est du domaine professionnel.

Le TSA demain et au-delà

L’inclusivité des personnes atteintes d’un TSA à l’école et dans les sphères professionnelles semble aussi s’être développée ces dernières années. « Clairement, il y aurait besoin de faire bien plus, mais on va déjà dans le bon sens. On essaie d’aller vers plus d’intégration à tous les niveaux. »

Une vraie bonne nouvelle. Car si le TSA est un trouble qui peut parfois s’avérer difficile à voir, il est essentiel pour les personnes touchées d’être au contact d’individus qui ne le sont pas. « Du moment que l’environnement constitue un espace pertinent pour le développement des patiente·s, il est important de pouvoir les y inclure un maximum », confirme la psychiatre.

Liens utiles

Brochure « Consultation Développement Mental enfance et adolescence

Questionnaire de dépistage M-CHAT (pour enfant de moins de 3 ans)

ACPA – Accueil et Consultation Précoce en Autisme

Documentaire « Histoire d’amour et d’autisme »

Bande dessinée « La différence invisible » de Julie Dachez chez Payot et Fnac

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