« Les personnes qui arrivent chez nous vivent dans une souffrance inimaginable »

Les personnes en grande souffrance psychologique, au point de vouloir mettre fin à leur vie, sont accueillies à Préfargier par l’équipe soignante de l’unité hospitalière E1 du CNP. Ici, il n’y a pas de tabou, le suicide est abordé sans détour. Une première étape thérapeutique pour les patient·e·s.

Pas de blouse caractéristique des hôpitaux pour habiller le personnel soignant de l’unité E1, à Préfargier. « Notre travail thérapeutique se fait surtout par la discussion et l’écoute », explique Jesse Gindrat, infirmier-chef adjoint de cette unité. En habits civils, sans blouse, une barrière tombe entre soignant·e·s et patient·e·s.

L’unité E1 est le lieu qui accueille, pour quelques jours ou quelques semaines, les personnes qui traversent une crise psychologique grave, au point de penser à mettre fin à leurs jours, ou d’en avoir fait la tentative. « Nous admettons des personnes suicidaires, qui ont des idées qui vont dans ce sens, et des suicidants ou suicidantes, qui sont les personnes qui sont déjà passées à l’acte. »

Un besoin vital d’être hospitalisé

Si la nature des soins à l’unité E1 diffère par rapport à ceux prodigués dans les unités hospitalières somatiques, la nécessité d’une prise en charge médicale pour ces patient·e·s reste, elle, bien la même. Un état de fait que l’équipe soignante doit encore trop souvent justifier, notamment auprès des proches. « La douleur psychologique est invisible, mais les personnes qui arrivent chez nous vivent dans une souffrance inimaginable. Elle les empêche de fonctionner. C’est exactement la même chose que d’avoir une jambe brisée. Si cela arrive, on se rend à l’hôpital pour se faire soigner, car on ne peut pas reprendre le cours de sa vie dans cet état », image Jesse Gindrat.

Jesse Gindrat, infirmier-chef adjoint de l’unité E1, a vu, en 10 ans, une grande évolution dans la prise en charge psychiatrique.

Bien que le suicide soit un problème majeur de santé publique, il reste donc un sujet très tabou dans la société et de nombreuses idées reçues empêchent encore sa compréhension dans la population générale.

Pour l’équipe soignante, cela signifie qu’une partie de son travail consiste à expliquer les réalités de cette maladie aux proches. Djamel Maache, infirmier-chef de l’unité E1, souligne : « La première chose à comprendre, c’est que le suicide est un non-choix. Les personnes qui plongent dans un état de crise suicidaire ont l’impression d’avoir épuisé toutes les solutions pour faire cesser leur détresse. Mettre fin à ses jours devient alors, dans leur tête, l’unique porte de sortie. »

« Il est important de parler du suicide avec une personne suicidaire, aussi naturellement que possible, tout en sachant que ces pensées font parties de l’intime profond de l’usager·ère. »

Lors de leur arrivée au sein de l’équipe de l’unité E1, les patient·e·s sont en crise aiguë. Une opportunité thérapeutique pour débuter un parcours de soin. « Il s’agit d’un moment clé pour clarifier et analyser la problématique de fond avec la personne et ses proches », détaille Jesse Gindrat. Pour arriver à cet objectif, l’équipe soignante va amener la personne à parler concrètement de ses idées suicidaires. « Nous allons chercher à savoir ce qui a déclenché la crise, mais aussi lui demander de mettre des mots sur ses pensées de mort, sur son scénario suicidaire, sans tabou. »

Les études et l’expérience le montrent, parler ouvertement du suicide permet l’établissement d’un vrai dialogue, mais aussi de rompre l’isolement et de construire un lien de confiance avec le ou la soignant·e. Un conseil aussi vrai pour les proches des personnes en détresse. « Il est important de parler du suicide avec une personne suicidaire, aussi naturellement que possible, tout en sachant que ces pensées font parties de l’intime profond de l’usager·ère. Le tabou qui entoure le suicide est malheureusement encore très présent, y compris chez certain·e·s soignant·e·s « , confirme Djamel Maache.

Une situation qui évolue quotidiennement

Il n’y a pas de protocole unique pour venir en aide aux personnes suicidaires, tout est déterminé au cas par cas, à travers des discussions et de l’écoute. A l’unité E1, chaque matin, psychiatres, psychologues et personnel infirmier se réunissent pour discuter des personnes admises entre ses murs.

En partageant ensemble sur les changements des dernières 24h, les besoins des patient·e·s sont constamment ré-évalués. Une fois par semaine, la personne hospitalisée est aussi conviée à participer à une séance qui détaille son état de santé. « Le but thérapeutique aujourd’hui est de rendre la personne actrice de son rétablissement. »

« Garder une personne trop longtemps hospitalisée est contre-productif. »

Les équipes soignantes essaient aussi de limiter le temps d’hospitalisation, en équilibre avec les besoins et l’état du ou de la patient·e. « Garder une personne trop longtemps hospitalisée est contre-productif, elle risque de perdre ses repères et ses capacités sociales. »

Les méthodes thérapeutiques destinées aux personnes suicidaires ont ainsi beaucoup évolué au cours des dix dernières années. Jesse Gindrat détaille: « Notre objectif est d’identifier ce qui a fait plonger la personne dans la crise pour ensuite lui permettre de mobiliser des ressources et des stratégies efficaces, qui deviennent des alternatives au passage à l’acte. La thérapie ASSIP est un moyen efficace pour cela. »

Pratiquée depuis 2019 au CNP, la méthode ASSIP est proposée en parallèle des traitements habituels. Cette thérapie se déroule sur un temps court, en trois ou quatre séances. Centrée sur une approche narrative de la tentative de suicide, les résultats ont montré jusqu’à 80% de réduction de répétition du geste suicidaire dans les 24 mois qui ont suivi la tentative initiale.

En psychiatrie, on parle ainsi rarement de guérison, mais de rétablissement. « Notre mission est de sortir la personne en souffrance du gouffre psychologique dans lequel elle est tombée. Nous l’aidons à retrouver un degré d’autonomie et une stabilité qui lui offre une qualité de vie satisfaisante. Cela ne signifie pas qu’elle n’aura plus de difficulté, mais l’espoir est qu’elle ait acquis les ressources pour agir avant qu’il soit trop tard. »

Urgences psychiatriques à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds

La plupart des patient·e·s qui se retrouvent dans l’unité E1 sont en tout premier lieu pris en charge aux urgences somatiques, à Neuchâtel ou à La Chaux-de-Fonds.

Depuis 2012, un centre spécialisé dans la psychiatrie d’urgence, le CUP, permet aux patient·e­·s d’avoir accès à des spécialistes de la santé mentale directement sur les sites des urgences de Pourtalès à Neuchâtel et de l’hôpital de La Chaux-de-Fonds. Ce sont eux qui, en accord avec les patients et leurs proches, leur proposent une hospitalisation à E1 si elle est estimée nécessaire.

La ligne de téléphone est ouverte 24h/24 et 7/7: 032 755 15 15

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