« Il faut se rappeler que c’est la maladie qui provoque ces comportements, ce n’est pas la faute de la personne »

Les maladies dégénératives du cerveau, qui touchent les personnes âgées, n’ont pas de traitement à ce jour. Pour les équipes soignantes des unités hospitalières de l’âge avancé, l’enjeu est d’atténuer et rééquilibrer les troubles du comportement de leurs patient·e·s en crise. Un travail quotidien difficile, mais aussi enrichissant.

« Notre service est l’un des plus difficiles, mais c’est un travail particulièrement gratifiant. » Bruno Da Rocha est infirmier-chef de l’unité hospitalière G1 du département de l’âge avancé. C’est dans cette unité de soins psychiatriques, sur le site de Préfargier, que les personnes âgées souffrant de troubles aigus se font soigner.

Parmi les patient·e·s traité·e·s dans ce département, une partie souffre de troubles neurocognitifs (TNC), comme la maladie d’Alzheimer. Dans ce dernier cas, la perte des facultés mentales est la manifestation d’une maladie dégénérative du cerveau. En Suisse, selon les estimations de l’Office fédéral de la santé publique, les troubles neurocognitifs touchent 146 500 personnes. On enregistre chaque année près de 31 375 nouveaux cas, et la maladie d’Alzheimer est la forme de maladie dégénérative du cerveau la plus fréquente, avec environ 60 % des cas.

Agir sur les symptômes en préservant la santé générale, un travail d’équilibriste

A l’unité G1, l’équipe soignante accueille plus spécifiquement les personnes âgées souffrant de troubles neurocognitifs qui traversent un épisode psychiatrique aigu. « A ce jour, il n’existe pas de traitement qui permet de guérir ces maladies, mais nous pouvons agir pour atténuer au maximum les symptômes. Notre but est de permettre à ces personnes en crise de retrouver un équilibre et une qualité de vie satisfaisante, pour elles et leurs proches, et qu’elles puissent rentrer à la maison ou dans un EMS. »

Ce travail thérapeutique est un défi, car il doit prendre en compte l’ensemble des problèmes de la personne, sous l’angle psychiatrique, mais aussi somatique, et en considérant les divers aspects de son parcours de vie. « Les médicaments qui agissent sur les troubles que présente la personne peuvent avoir un effet indésirable sur le système cardiaque par exemple. Il faut donc s’adapter au cas par cas, pour préserver au mieux la santé générale de chacun et chacune », explique Bruno Da Rocha.

Les soignant·e·s prennent le temps d’expliquer chaque geste à leurs patient·e·s. Ici, Annelyse Canto aide un patient à prendre son petit-déjeuner.

L’unité propose aussi des activités thérapeutiques sous forme d’ateliers occupationnelles. Accompagné·e·s de Catarina De Oliveira, assistante socio-éducative, les patient·e·s font des balades dans le parc, des ateliers sensoriels ou encore des cours de cuisine ou de peinture.

Le travail de l’équipe soignante est donc pluridisciplinaire, ce qui le rend particulièrement exigeant. « Notre prise en charge est médico-bio-psycho-sociale. Nous travaillons aussi en collaboration étroite avec les proches, pour mieux comprendre les besoins de la personne et son environnement. Notre mission est de veiller à sa santé, de prévenir les accidents, mais aussi de préserver la bienveillance et éviter la maltraitance. »

« Nous sommes confrontés à l’honnêteté pure »

Au quotidien, les troubles cognitifs dont souffrent ces patient·e·s peuvent les amener à avoir un comportement réactif, qui se manifeste par de l’agressivité. En réalité, ce dernier traduit avant tout un état de peur d’intrusion dans la sphère intime. « Pour chaque acte de soin, il est important de prendre le temps d’expliquer ce que l’on fait et d’agir calmement, pour ne pas effrayer la personne », détaille Bruno Da Rocha.

Face aux problèmes de mémoire, il faut aussi se répéter. « C’est notre rôle de nous adapter à chacune de ces personnes. Pour faire ce métier, il faut de l’empathie et de la patience. Il y a certain·e·s patient·e·s qui n’ont plus d’inhibition. On peut se faire insulter, nous sommes confrontés à l’honnêteté pure… Il faut se rappeler que c’est la maladie qui provoque ces comportements, ce n’est pas la faute de la personne. »

Les troubles du comportement de ces patient·e·s, comme la déambulation ou l’errance, les amènent à se mettre en danger. Ricardo Sousa, infirmier en chef adjoint de l’unité, précise : « Les patient·e·s peuvent se blesser en tombant de leur lit, de leur chaise, ou faire peur aux autres en essayant d’entrer dans leur chambre. Dans ces cas-là, nous devons parfois prendre des mesures de restrictions en utilisant des barrières au lit, une ceinture, ou en disposant un tapis au pied du lit qui sonne en cas de contact. Ces mesures sont utilisées en dernier recours et ne sont pas prises à la légère. Même si c’est dans un but de protection, il s’agit d’une entrave à la liberté de la personne. »

Pour les soignant·e·s, il est important de parler posément, les yeux dans les yeux, de respecter les rythmes physiques et de percevoir des signaux de la personne qui souffre de troubles cognitifs. Ici, Bruno Da Rocha et Catarina De Oliveira.

Le quotidien de l’équipe soignante de l’unité G1 est donc intense. Il est également parfois difficile, aussi bien physiquement que mentalement. Ces soignant·e·s gardent, malgré tout, toujours leur calme et leur sourire. « Il faut avoir la vocation en soi pour travailler avec cette population et ces pathologies. Personnellement, j’ai toujours apprécié être avec les personnes âgées », explique Ricardo Sousa. Bruno Da Rocha confirme : « Ce sont des personnes très attachantes, qui ont toujours des histoires à raconter. L’équipe soignante a un vrai esprit d’entraide et la bonne ambiance règne ». 

Une activité professionnelle aussi exigeante que gratifiante donc, qu’il est nécessaire aujourd’hui de valoriser aux yeux de la population. Avec le vieillissement de la population, les pays industrialisés vont devoir faire face à une forte augmentation du nombre de personnes âgées nécessitant des soins psychiatriques. Mais il y a aussi de quoi se réjouir: au niveau médical, la recherche s’active pour trouver des solutions efficaces contre ces maladies dégénératives du cerveau. Du côté social, on peut aussi constater des avancées dans la déstigmatisation de ce sujet.

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